Au sein des start-ups portées sur le véhicule autonome, la notoriété de la pépite française Navya n’est plus à prouver. Nous vous en avions même déjà parlé sur le blog. Depuis ses débuts en 2014 l’entreprise lyonnaise continue sa folle croissance et a même été introduite en bourse. L’occasion pour nous d’échanger avec Nicolas de Crémiers, directeur marketing.
1. Navya, son business et ses chiffres clés
Pour nos lecteurs, n’étant pas forcément familiers de l’entreprise, Argus Conseil a demandé à Nicolas de Crémiers de dresser une rapide fiche récapitulative de l’entreprise :
Naissance et premiers jalons :
- 2014 : Naissance de Navya, fondée par Christophe Sapet, entrepreneur « récidiviste » qui avait notamment co-fondé l’entreprise de jeux-vidéos Infogrames dans les années 80. En 1995, il fonde avec la même équipe la société INFONIE, premier fournisseur d’accès internet français. En 2014 c’est alors le bon moment pour lui de regrouper ses passions : la technologie et l’automobile l’automobile pour développer la première navette autonome électrique. « A l’époque personne n’y croyait » selon Nicolas de Crémiers.
- 2015: l’Autonom Shuttle est dévoilée, depuis plus de 100 exemplaires ont été vendus dans 20 pays.
Faits et chiffres clés sur l’entreprise :
- Un leader français des véhicules autonomes et des nouvelles solutions de mobilité intelligente et partagée.
- 250 collaborateurs
- Plus de 100 véhicules vendus depuis 2015 (89 véhicules vendus en 2016)
- Pas encore de bénéfices mais l’équilibre (EBITDA) pour objectif en 2019
- CA 2017 : 10M€
- CA 2018 (ambition) : 30M€
Cas d’usages et clients principaux :
- Route ouverte avec les opérateurs de transports (ex : Keolis, Berthelet, Bertolami…)
- Sites privés : Sites industriels, Campus d’universités, Aéroports
- Munipacilités
Argus Conseil : Après cette très utile petite fiche Executive Summary, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le modèle économique de Navya ?
N.d.C: Navya est un constructeur indépendant de véhicules autonomes avec deux modèles aux usages bien distincts (les Autonom Shuttles et Autonom Cabs), sur des petites distances. Nous sommes un pure player et contrôlons la chaine de valeur à deux exceptions. Premièrement l’amont c’est à dire la fourniture de pièces externes (ex : les capteurs de Valeo). Et deuxièmement l’aval : ce qui représente la gestion du client final où nous nous appuyons sur l’expertise des opérateurs de transports. Nous y reviendrons plus tard.
Argus Conseil : Une entreprise telle que la vôtre pourrait rapidement attirer les convoitises. Comment comptez-vous préserver votre indépendance ? Les constructeurs ou équipementiers pourraient être à l’affut.
N.d.C: Nous nous sommes récemment introduits en bourse. C’est une bonne manière de rester indépendant vous ne pensez pas? Nous multiplions également les partenariats tout en évitant les fusions. À ce titre Valeo et Keolis sont donc des actionnaires majeurs. De plus nous possédons un cycle de développement des produits indépendant et toute l’agrégation des technologies est faite en interne, avec un système d’exploitation propriétaire.
A.C. : Quel est votre argument clé de vente (USP) par rapport aux concurrents ? Qu’est-ce qui vous distingue d’Easy Mile et de ses navettes autonomes par exemple?
N.d.C: Nous sommes les seuls à fabriquer et commercialiser une gamme de 2 véhicules : l’Autonom Shuttle (navette) et le Cab (Robotaxi). Nous avons en outre décidé d’être un pure player gérant l’ensemble de la chaine de valeur. En amont, nous nous sourçons auprès de nos équipementiers partenaires, sur les capteurs par exemple. Ensuite nous intégrons nous même les différentes technologies ( que l’on pourrait appeler Navya OS en forçant le trait pour illustrer). Enfin, nous vendons les navettes auprès des opérateurs de transports comme Keolis ou aux sites privés directement si besoin.
Il faut en tout cas se féliciter : avec notre concurrent Easy Mile et nous, La France est à la pointe sur le marché des navettes autonomes.
2.L’actualité produits de Navya, les projets actuels. Les navettes autonomes à l’épreuve de la réalité et des tests en milieu ouvert
A.C. : Où en sont vos tests de navettes ? Combien de kilomètres avez-vous parcourus?
N.d.C: Contrairement à certains acteurs du secteur, nous ne trouvons pas pertinent de communiquer sur le nombre de km parcourus. Pour tester un véhicule autonome et les potentiels obstacles, 1000km du même tronçon d’autoroute en ligne droite ne sont pas équivalents à 1000km en plein coeur de différentes villes. Les entreprises comme Google ont une forte composante B2C et ont donc un intérêt en termes d’image à communiquer. En tant qu’entreprise essentiellement B2B, la communication est foncièrement différente. En revanche, nous sommes fiers de communiquer le nombres de passagers transportés : + de 300 000 passagers transportés depuis avril 2016, ce qui montre bien la réalité des navettes autonomes et le fait qu’elle constituent un service dès aujourd’hui.
A.C. : Pouvez-vous nous préciser les conditions de ces tests?
N.d.C: Environ 60% de nos tests s’effectuent désormais en milieu ouvert. Nous pouvons citer par exemple le parcours de Sion en Suisse avec notre partenaire Carpostal. Il s’agît d’un parcours qui a été étendu à 3km et relie la gare au centre ville. Les navettes doivent gérer le trafic, les feux de circulation et les ronds-points. Nous avons également lancé un parcours à Las Vegas, en haut de l’ancien Strip avec Keolis, à l’occasion du CES dernier. Nous pouvons également citer un parcours à Perth en Australie avec le Royal Automobile Club d’Australie (RAC).
A.C. : Il y a-t-il de vrais cas d’usage pour ces navettes ?
N.d.C: Le succès de ces navettes dépend d’un certain ratio prix / temps pour l’utilisateur. Les étudiants sont donc un bon exemple. L’Autonom Shuttle est une solution pour le premier et le dernier kilomètre. Imaginez une situation où une personne passe la moitié de son temps de trajet à marcher pour récupérer son bus par exemple. Le business model sera rentable. Il s’agît au fond de convaincre les gens de délaisser leur véhicule et leur proposer une solution alternative qui soit réellement attractive.
A.C. : Quid des infrastructures routières existantes ? Il y a-t-il un besoin de remise aux normes ?
N.d.C: Certaines entreprises comme Tesla utilisent souvent une seule source (ex: des caméras) pour faire fonctionner leurs véhicules autonomes. De nôtre côté nous sommes pour la redondance de l’information pour assurer une sécurité optimale. Que toutes les possibilités soient couvertes. Cela passe donc effectivement parfois par de légères modifications d’infrastructures connectées pour que nos véhicules reçoivent bien une « confirmation » d’information.
A.C. : Que pouvez-vous nous dire sur votre deuxième produit, le robotaxi Autonom Cab ?
N.d.C:Le produit a été très bien reçu. Les pilotes devraient démarrer en fin d’année à Lyon et en Australie. Ces pilotes nous permettront d’appliquer une approche itérative : une amélioration progressive de la vitesse et de la distance d’opérations.
3. Le marché des navettes autonomes, l’avenir et ses impacts sur l’ensemble de la chaine de valeur automobile
A.C. : Quels sont les retours « humains » des personnes ayant testé vos navettes ? Pensez-vous que toutes les inquiétudes liées à la mobilité autonome pourront être levées?
N.d.C: Il se passe le plus souvent une rapide phase de découverte ou tout le monde se regarde avec un peu d’appréhension et de curiosité. Et puis, la réaction la plus courante observée est le « Le plus surprenant c’est qu’il ne se passe rien! ». Les gens s’attendent en effet à ce qu’il se passe quelque chose alors que le trajet suit le plus souvent son cours normalement. À ce moment, tout redevient normal et ils replongent dans leur livre ou leur téléphone. L’acceptation de la technologie semble ainsi quasi-immédiate. Avec des taux d’acception dépassant souvent les 90% comme à Lyon où nous sommes déjà à la deuxième année d’exploitation.
A.C. : La législation a-t-elle suffisamment évoluée depuis vos débuts ? Elle-elle désormais assez souffle pour votre business ou réclamez-vous d’autres allègements ?
N.d.C: Le récent article 43 du projet de loi Pacte devrait permettre une évolution de la loi sur le véhicule autonome. Auparavant pour réaliser des tests en milieu ouvert les démarches administratives étaient longues et fastidieuses. Il fallait remplir une demande très précise (conditions, lieu, heure…) de surcroît à envoyer bien en amont. Désormais avec l’assouplissement prévu, il s’agira d’une autorisation complète pour tout le territoire national. La convention de Vienne s’appliquera toujours néanmoins, avec la présence obligatoire d’un agent déporté. (NDR Argus Conseil : à la définition assez floue). Les véhicules autonomes Navya peuvent être arrêtés d’urgence à distance mais ils ne sont à l’inverse pas contrôlables pour des questions de cybersécurité.
A.C. : Votre robotaxi Autonom Cab peut-il rivaliser avec les géants de la Sillicon Valley comme Uber et Waymo (Google) qui disposent de budgets absolument faramineux ?
N.d.C: C’est plutôt une concurrence indirecte pour nous. Nous développons et fabriquons nos propres véhicules sans volants et sans pédales. À l’inverse de Waymo et Uber qui se concentrent désormais sur le software, nous intégrons software + hardware, depuis la conception du véhicule. (ND Argus Conseil : En tant que concurrent similaire à Navya, nous pouvons citer la startup californienne Zoox.)
A.C. : Avez-vous été aussi impressionnés que nous par le concept e-palette de Toyota?
N.d.C: On est ici en présence d’une super personnalisation. Mais est-ce que ce concept est viable ? Ce que veulent appliquer ces acteurs (Toyota, Uber etc.) c’est la révolution de la mobilité des villes tout en changeant les modes de consommation. La voiture a dessiné les villes, la ville de demain sera calquée sur les nouvelles mobilités. Il faut dans tous les cas une égalité de la mobilité : tout le monde doit en profiter quel que soit le milieu social.
A.C. : Avec l’autonomie, se dirige-t-on vers un marché essentiellement de location B2B dans lequel la voiture personnelle deviendra marginale ?
N.d.C : Au sein du nouveau monde des mobilités partagées qui s’ouvre tout juste, le véhicule autonome ne représentera qu’une brique de cet écosystème. Et cette mobilité partagée ne représentera qu’une brique du plan de transport global! Il s’agît d’une révolution progressive. La technologie autonome de Navya n’a effectivement pas de sens pour un particulier unique. L’objectif ultime est de décroitre le nombre de véhicules individuels en ville tout en libérant des espaces de parking.
A.C. : Les voitures personnelles vont donc finir comme les chevaux et être réservées aux circuits ?
N.d.C : Nous n’en sommes pas encore là, cette échéance n’est pas chiffrable. Ce que nous remarquons c’est que l’automobile était une liberté, elle est devenue une contrainte. Aujourd’hui les solutions de mobilités bouillonnent, et je vous conseille de jeter un oeil à Whim, une app multimodale finlandaise qui propose un abonnement tout inclus pour la globalité des transports, VTC inclus. Proposer différentes solutions de transport complémentaires sonne comme une évidence. Avec comme ordre de critères pour le consommateur : le prix, puis le temps d’attente et enfin le confort / commodité. Nous comptons bien intégrer nos produits Cab et Shuttle dans ces écosystèmes multimodaux à l’avenir.
A.C. :Comprenez-vous l’inquiétude des professionnels du secteur automobile face à l’avènement du véhicule autonome ?
N.d.C : C’est un vrai sujet que devront traiter les constructeurs. Le véhicule autonome peut-être porteur de nouveaux potentiels de business (vente déportée B2B, services de mobilité B2C, après-vente …) mais il faudra là-aussi se réinventer. Une maxime qui devra également s’appliquer aux assureurs, à l’aube de la prochaine révolution, du B2C au B2B d’où notre partenariat avec l’assureur AXA.
A.C. : Enfin, que répondez-vous à ceux ayant peur pour leur emploi ?
N.d.C : Il faut être conscient que le véhicule autonome n’est plus une hypothèse mais une réalité. Le déploiement est désormais progressif. Que cela soient les entreprises privées ou les pouvoirs publics, nous devons tous accompagner la transition du travail. Développer l’offre de formations en adéquation avec la conjoncture par exemple. De notre côté nous avons lancé une initiative de partenariat avec l’école de développement informatique 42 par exemple.
Propos recueillis par Alexandre Mahé et André-Michel Ayiffon.
Vous pouvez retrouver dans la même série notre interview du CEO de Transdev, Thierry Mallet, à cette adresse.
Enfin de notre côté, Auto-Net va entrer en période d’hibernation pour une durée indéfinie. Merci de nous avoir suivis jusqu’ici ! Et à bientôt au sein d’un tout petit secteur automobile.